Je marche sur mes eaux de femme.
Je t’expliquerai qu’il y a une mer salée
et une mer pleine d’amour.
La ligne de démarcation a été ma poésie.
Avec elle j’ai divisé les mystères de la mer
et mon propre mystère.
Cependant j’ai compris que dans les petites choses,
comme ma modeste maternité,
il existe des mers infinies.
Où s’alternent seiches et larmes,
des choses jamais vues et grandeur de Dieu.
Et j’ai compris que la poésie est inutile.
Comme la beauté de la mer,
si on ne pense pas à qui l’a créée
qui est un grand mystère.
Alda Merini, Dopo tutto anche te, Après tout même toi, Oxybia Éditions, 06620 Le Bar-sur-Loup, 2009, pp. 80-81. Traduction française de Patricia Dao.
Tiré du blog d'Angèle Paoli
Voir aussi celui de Nathalie Riera
Notes de lectures, compte-rendu d'expositions, avis sur des films ou des concerts... L'ancienne version est sous Tumblr (grimmc7.tumblr.com)
samedi 10 décembre 2011
lundi 7 novembre 2011
Cris et chuchotements - Bergman
Revu ce film que j'avais vu à sa sortie en 1972. Toujours aussi touché et impressionné, comme souvent chez Bergman. La période incite aussi à une sensibilité accrue de ma part.
Voici une critique avec laquelle je me sens en accord, celle du ciné-club de Caen.
Quelques images, pour évoquer le film :
Voici une critique avec laquelle je me sens en accord, celle du ciné-club de Caen.
Quelques images, pour évoquer le film :
Maria (Liv Ullmann) |
Agnès (Harriett Andersonn) |
Anna et Agnès (célèbre "piéta" bergmanienne) |
Les trois soeurs et Anna |
jeudi 3 novembre 2011
Pour préparer l’être d’amour après - Paul Blackburn
Très touché par ce poème de Paul Blackburn trouvé aujourd'hui dans "Terres de femmes" le blog d'Angèle Paoli.
POÈME DU PARC
Dès le premier choc des feuilles leur alliance
avec l’amour, comment ça va ?
Pages qu’on écrit et déchire
Quelqu’un dans son trois-quarts s’assoit sur une colline et attend
Ce n’est pas le printemps, peut-
être n’est-ce jamais le printemps
peut-être est-ce le bout blessé de l’été
la tendre première brise de l’automne
la première pluie fraîche de l’automne sur le parc
et sur ces gens qui le traversent
La fille, elle pense :
la vie est ces pronoms
l’homme : demander / répondre / accepter
oiseau-vie . renne-mort
La vie n’est que verbes, voyelles et verbes
Ils sont tous les deux mouillés
Si c’est de l’amour, alors il faut faire
l’amour, autrement laisser tomber
« Créer la situation / voilà de l’amour
et l’éviter, voilà encore
de l’Amour »
de même que prendre soin, ou l’éveil d’une conscience, de même
n’importe quelle
autre conscience pourrait aurait
pu être
mais est désormais
chair chaude
giflant de la chair chaude
jusqu’à renne-vie / oiseau-mort
Tu cours, tu vois,
tu cours et descends la pente à travers le pré
et moi aussi je cours
pour te rattraper
Cette pluie est la tienne
elle tombe sur nous
et nous, aussi, l’un sur l’autre
Appartenons à la lune
que nous ne voyons pas
Il fait humide et frais
des bleus que nos peaux
auraient pu
prendre soin d’éviter
mais nous courons . courons
pour préparer
l’être d’amour après
Paul Blackburn, Villes suivi de Journaux, José Corti, Série américaine, 2011, pp. 26-27. Traduit par Stéphane Bouquet.
jeudi 20 octobre 2011
Hadewijch d’Anvers - ce Dieu qui naît en moi
Je souffre, je m’efforce, je tends au-dessus de moi-même,
j’allaite avec mon sang ce Dieu qui naît en moi.
Ce que l’Amour a de plus doux, ce sont ses violences ;
son abîme insondable est sa forme la plus belle ;se perdre en lui, c’est atteindre le but ;
être affamé de lui c’est se nourrir et se délecter ;
l’inquiétude d’amour est un état sûr ;
sa blessure la plus grave est un baume souverain ;
languir de lui est notre vigueur ;
c’est en s’éclipsant qu’il se fait découvrir ;
s’il fait souffrir, il donne pure santé ;
s’il se cache, il nous dévoile ses secrets ;
c’est en se refusant qu’il se livre ;
il est sans rime ni raison et c’est sa poésie ;
en nous captivant il nous libère ;
ses coups les plus durs sont ses plus douces consolations ;
s’il nous prend tout, quel bénéfice !
c’est lorsqu’il s’en va qu’il nous est le plus proche ;
son silence le plus profond est son chant le plus haut ;
sa pire colère est sa plus gracieuse récompense ;
sa menace nous rassure
et sa tristesse console de tous les chagrins :
ne rien avoir, c’est sa richesse inépuisable.
"hors satan" de Dumont est sorti cette semaine. Ce film m'aimante.
En dérivant à partir de là, j'ai trouvé les textes ci-dessus de Hadewijch dans cette page de Pierre Assouline consacrée au fiilm de Bruno Dumont portant le nom de cette poètesse.
Et je me suis souvenu du beau spectacle de Lucile Vignon que j'ai vu il y a quelques mois, dont j'avais rendu compte ici, où j'avais découvert avec émotion cette mystique flamande.
mardi 27 septembre 2011
Jonathan - Cosey
Je flânais devant les revues de l'un des relay de la gare de Lyon en attendant le RER hier quand mon regard a été attiré par la couverture d'un magazine que je ne connaissais pas "l'immanquable".
Dans un entretien, il dit avoir été influencé par Hugo Pratt. Ce n'est pas étonnant, le beau marin et le montagnard amnésique promènent tous deux leur nostalgie indéfinissable dans des pays exotiques, raison pour laquelle, sans doute, je me suis attaché à eux.
J'ai encore plus aimé les autres albums de Cosey :
Le dessin en couverture, les mots "Jonathan", "Cosey" me rappelaient de vieux souvenirs. En feuilletant la revue j'apprends qu'un nouveau volume des aventures de Jonathan va sortir en novembre. J'attends ça avec impatience !
Les aventures de Jonathan... c'est toute une époque qui me revient.Dans un entretien, il dit avoir été influencé par Hugo Pratt. Ce n'est pas étonnant, le beau marin et le montagnard amnésique promènent tous deux leur nostalgie indéfinissable dans des pays exotiques, raison pour laquelle, sans doute, je me suis attaché à eux.
J'ai encore plus aimé les autres albums de Cosey :
Orchidea est l'histoire de deux frères et d'une soeur partant à la recherche de leur père disparu de sa maison de retraite.
Très touchant. |
A le recherche de Peter Pan est un diptyque. C'est le premier que j'ai lu hors la série des Jonathan. Une histoire de montagne, d'avalanche menaçante... |
J'ai beaucoup aimé aussi "le voyage en Italie" dont je n'ai pas trouvé d'image. Une histoire de deux frères amoureux de la même fille.
dimanche 25 septembre 2011
Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde
"C'est très ennuyeux de croire. Et très passionnant de douter.
Être en état d'alerte, c'est vivre ; se laisser bercer
par un sentiment de sécurité, c'est mourir."
Les murs de l'exposition sur l'"aesthetic movement", au musée d'Orsay en ce moment, sont parsemés de citations d'Oscar Wilde. J'ai particulièrement aimé celle-ci.
Ce mouvement a succédé au préraphaélisme, dont j'ai visité une exposition au même endroit en avril dernier et où j'ai découvert Julia Margaret Cameron. De nombreux artistes sont communs aux deux mouvements.
Voici quelques œuvres tirées du site de l'exposition dont les explications sont très complètes et intéressantes. :
A noter aussi que ce mouvement a eu une influence importante sur le "design" des meubles, des vêtements... De nombreuses pièces sont présentées.
Être en état d'alerte, c'est vivre ; se laisser bercer
par un sentiment de sécurité, c'est mourir."
Les murs de l'exposition sur l'"aesthetic movement", au musée d'Orsay en ce moment, sont parsemés de citations d'Oscar Wilde. J'ai particulièrement aimé celle-ci.
Ce mouvement a succédé au préraphaélisme, dont j'ai visité une exposition au même endroit en avril dernier et où j'ai découvert Julia Margaret Cameron. De nombreux artistes sont communs aux deux mouvements.
Voici quelques œuvres tirées du site de l'exposition dont les explications sont très complètes et intéressantes. :
Thomas Armstrong (1832-1911) le champs de foin 1869 |
Frederic Leighton (1830-1896) Pavonia 1858-59 |
James McNeill Whistler (1834-1903) Symphonie en blanc n°2 la petite fille blanche 1864 |
Edward Burne-Jones (1833-1898) Laus Veneris 1873-78 |
William Blake Richmond - Mrs Luke Ionides |
Edward Burne-Jones (1833-1898) La roue de la fortune 1883 |
Maxwell Armfield (1881-1972) Faustine 1900-04 |
Napoleon Sarony (1821-1896) Portrait d'Oscar Wilde 1882 |
Aubrey Beardsley (1872-1898) L'apogée - illustration pour Salomé d'Oscar Wilde |
mercredi 21 septembre 2011
La longue saison
Certain silence
C’est de l’hiver
Qui prend son temps
Et pose sur toute chose
Son fin linceul de blanc
Où dorment
Dessous
Ces sentiments remis à d’autres mondes
Seule va flottant dessus
Une solitude endimanchée
Murmurant sa prière
Au beau visage enfoui
Que rien ne cache
Ni aucun mur
Ni la froidure
Ni même l’oubli
... il fait trop doux
Très beau poème... très doux...
Il est de Jean...
Je ne sais pas qui est Jean,
je sais juste qu'il écrit des textes sur son blog
On est là mais ça ne durera pas. On peut toujours sourire du reste...
La photo d'une forêt en hiver est tiré du blog "Terre et ciel"
C’est de l’hiver
Qui prend son temps
Et pose sur toute chose
Son fin linceul de blanc
Où dorment
Dessous
Ces sentiments remis à d’autres mondes
Seule va flottant dessus
Une solitude endimanchée
Murmurant sa prière
Au beau visage enfoui
Que rien ne cache
Ni aucun mur
Ni la froidure
Ni même l’oubli
... il fait trop doux
Très beau poème... très doux...
Il est de Jean...
Je ne sais pas qui est Jean,
je sais juste qu'il écrit des textes sur son blog
On est là mais ça ne durera pas. On peut toujours sourire du reste...
La photo d'une forêt en hiver est tiré du blog "Terre et ciel"
samedi 17 septembre 2011
Melancholia - Lars von Trier
Vu Melancholia hier soir.
Je ne pouvais qu'être sensible au parallèle entre la mélancolie et cette histoire de fin du monde à laquelle on se laisse délicieusement prendre dans le huis clos protecteur et mortifère des deux sœurs et du petit garçon.
Mais ce qui reste encore le plus gravé en moi aujourd'hui, ce sont ces images.
Je ne pouvais qu'être sensible au parallèle entre la mélancolie et cette histoire de fin du monde à laquelle on se laisse délicieusement prendre dans le huis clos protecteur et mortifère des deux sœurs et du petit garçon.
Mais ce qui reste encore le plus gravé en moi aujourd'hui, ce sont ces images.
« la façon dont la lumière s’éteint dans les yeux » |
J'aime le geste de Justine, un très ancien souvenir qui me revient... |
La critique que j'ai trouvé la plus éclairante est celle de Anne-Violaine Houcke dans Critikat.
J'en reproduit un large extrait ici :
"Melancholia est
un film en deux parties, sobrement intitulées « Justine », et
« Claire », du nom des deux sœurs qui gravitent dans l’espace du film.
Chaque sœur a sa planète : Claire (Charlotte Gainsbourg) a la Terre,
Justine (Kirsten Dunst) a Saturne. C’est un « diptyque », donc (puisque
l’iconographie picturale a la part belle dans le film). Renommons les
deux volets du diptyque. Première partie : La Terre. Seconde partie :
Saturne. Mais les deux volets se regardent, se répondent. Miroir. Échos.
La Terre
La première partie est la descendante directe de Festen,
mais sur un mode « spectaculaire ». « Spectaculaire », car Justine
épouse Michael (Alexander Skarsgård), et tout mariage est une mise en
scène. Surtout celui-ci, organisé dans les moindres détails par Claire,
dans la somptueuse maison sur un golf qu’elle habite avec son mari John
(Kiefer Sutherland). Le mariage fonctionne comme la métonymie du système
social dans son ensemble : il en est le symbole, la manifestation la
plus éclatante des mécanismes par lesquels la société reconduit, affirme
et expose les codes qui la régissent. Mais alors que, dans Festen,
tout éclatait au grand jour, ici, tout reste en sourdine. Car nous ne
sommes pas, précisément, dans l’intimité familiale : tout le monde ici
est en représentation dans les salles illuminées de la splendide
demeure. Pourtant, la belle ordonnance du mariage se fissure de part en
part : ainsi, la mariée et la mère partent prendre un bain alors même
qu’on attend Justine pour le grand moment de la pièce montée. Les
chambres de la maison, ses couloirs, sont autant de coulisses où l’on
enlève, justement, ses habits de parade, où les masques tombent. Le père
(John Hurt), sorte de fou du roi plutôt que roi, qui s’enfuit dans la
nuit au moment où Justine a le plus besoin de lui. La mère, une
Charlotte Rampling incroyablement haineuse, monstre glacial et désabusé.
Et l’amour-haine qui attache Claire à cette sœur apparemment si
fragile. Au cœur de la fête aussi, en réalité, les signes des tensions
qui gangrènent les relations familiales, mais aussi sociales
(professionnelles notamment), sont bien visibles. Mais Lars von Trier
montre remarquablement à quel point les invités savent ne pas les voir.
Les signes du délitement de la fête s’accumulent. Délitement accentué,
dans la mise en scène, par le mouvement incessant de la caméra portée à
l’épaule, et par les coupes brusques qui créent un univers chaotique là
où l’ordre tente, envers et contre tout, de régner. Mais la fête
continue, comme si de rien n’était, provoquant un très profond sentiment
de malaise.
Charlotte Gainsbourg est ici à mille lieues du rôle qu’elle incarnait dans le dernier film du réalisateur danois, Antichrist. Tout comme Melancholia
est a mille lieues de ce précédent film, hystérique. L’état dépressif
n’est plus sien : c’est celui de sa sœur, Justine. Et encore, la
dépression n’est que la manifestation apparente d’un état d’âme bien
précis : la mélancolie. Claire, au contraire, est, risquons le jeu de
mot, « terre-à-terre » : elle est la figure de la raison – de la
science, même, par laquelle elle tentera de se rassurer dans la seconde
partie. C’est elle qui a organisé, à la minute près, la cérémonie du
mariage, et qui ne cesse de ramener sa sœur à l’intérieur de ce cadre
strict. Difficile pari, quand la mariée arrive avec deux heures de
retard à sa propre fête, qu’elle décide de prendre un bain au beau
milieu de la soirée, ou qu’elle s’échappe dans la nuit profonde du golf.
Elle flotte comme un grand lys
Justine, justement, est évanescente. Absente à ce monde,
sans cesse évanouie, sans cesse en voie de disparition. Elle assiste à
son mariage, malgré elle, plutôt qu’elle ne se marie : elle y participe,
tel un automate au mécanisme sans cesse remonté par sa sœur Claire,
pour éviter qu’il ne tombe et ne quitte la piste. On ne peut que se
réjouir du choix de Kirsten Dunst (Prix d’interprétation féminine à
Cannes), dont la blondeur et la peau diaphane lui permettent de
traverser le film comme en flottant.
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys
écrivait Rimbaud. Le tableau du peintre préraphaélite qui donna à l’héroïne d’Hamlet
sa représentation la plus connue, John Everett Millais, fait d’ailleurs
partie du merveilleux prologue du film, qui fait se succéder des œuvres
« canoniques » (la Melencolia de Dürer par exemple)
et des plans-tableaux sidérants d’une Justine flottant dans des univers
symboliques (et symbolistes), dans des atmosphères d’un lyrisme inouï.
Lars von Trier rattache Justine à un monde qui tient à la fois du
romantisme littéraire et de l’expressionnisme cinématographique (le
second étant de toute façon un héritier du premier). La mélancolie,
cette maladie qui l’isole du commun des mortels, fait affleurer le
fantastique dans le film. Or, c’est précisément là que tient le génie de
Lars von Trier : en ancrant profondément les manifestations
symptomatiques de la maladie dans le contexte d’une oppressante et
hypocrite mise en scène sociale – le mariage de Justine –, il inscrit
tout le développement de son film dans un cadre très réaliste qui va
pourtant insensiblement nous tirer peu à peu vers une dimension
fantastique, qui s’épanouit alors dans la seconde partie.
D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il réussit
alors le film-catastrophe le plus angoissant qui ait été réalisé.
Justine n’est pas folle, capricieuse ou même dépressive. Dans la théorie
des humeurs d’Hippocrate, la mélancolie est un excès de bile noire (des
termes grecs « mélas », la bile, et « kholé », noire), dont l’excès
entraîne un sentiment intense de tristesse, de détachement d’un monde
dont le sujet mélancolique perçoit la vanité. Dans la cosmologie, la
planète de la mélancolie est justement Saturne. Piégée dans ce bain de
conventions et de rites sociaux, Justine ne peut que sombrer dans un
état de plus en plus dépressif, et il ne serait pas absurde de penser
que le rapprochement de la planète Saturne n’est que la réponse à un
appel que tout son corps lance à la destruction de ce tissu de rites, de
codes qu’est la Terre. Non pas une création de l’esprit (dans la
seconde partie, nous ne sommes pas dans le cerveau d’une malade), mais,
réellement, une production de son état d’âme. Les mélancoliques sont des
génies, des artistes : c’est là le sens véritable de cette seconde
partie, qui n’est autre que l’arrivée de cette âme-sœur que Justine
appelle de tous ses vœux. Et que sa véritable sœur, Claire, redoute de
toutes ses forces. Saturne est aussi, de ce point de vue, la rivale qui
vient enlever Justine à Claire. Justine la mélancolique est donc la
véritable artiste de la seconde partie : c’est elle qui génère ces
images d’une stupéfiante beauté, ces « clairs de Saturne », pourrait-on
dire, qui illuminent la nuit et le golfe d’une lumière surnaturelle.
C’est elle, peut-être, qui fait résonner l’air somptueux du Tristan et Isolde
de Wagner. Tout comme c’est elle qui construit, avec le fils de Claire,
cette tente magique dans laquelle ils attendront la fin du monde. Tout
est dit ici : la mélancolique et l’enfant sont les deux seuls êtres du
film à n’être pas encore conditionnés par le système social. Les deux
seuls aussi à conserver en eux un imaginaire créateur.
« Et quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre [1] »
Si Lars von Trier n’avait plus à prouver qu’il était
maître dans l’art de la mise en espace, jamais, peut-être, il n’aura
atteint une telle maîtrise. À l’intérieur d’un même décor, le
réalisateur construit deux espaces opposés. Melancholia
est un huis clos, ou plutôt deux huis clos dans un même lieu : le golf,
et surtout la riche demeure qui le surplombe. Comme dans les romans
gothiques puis romantiques, comme dans le cinéma expressionniste, la
demeure isolée s’avère être un piège, pour Justine dans la première
partie, pour Claire dans la seconde. Dans la première scène du film,
Justine, tout juste mariée, approche de la maison dans une limousine
blanche avec son époux : mais la voiture est bloquée à un virage, il est
impossible d’aller plus loin, il va falloir continuer le chemin seul, à
pied. C’est là le premier signe de la nature fantastique du lieu dans
lequel elle se rend. Songeons au passage de Hutter dans le domaine sur
lequel règne Nosferatu, dans le film de Murnau.
Piégée dans ce haut-lieu des conventions, Justine s’en
échappe, comme aimantée par Saturne. Sur l’immense étendue devant la
demeure, la lumière est bleuâtre, émanant de Saturne, et les ombres sont
doubles, l’une projetée par la lune, et l’autre par la planète de la
mélancolie. Quand Justine marche sur l’herbe, elle n’a qu’une ombre :
étrange effet d’éclairage, qui nous ramène tout droit aux éclairages
fantastiques de l’expressionnisme cinématographique. À l’inverse, dans
la seconde partie, Claire ne parviendra pas à quitter ce château,
désormais vidée de ses invités, et dont les grandes salles vides ne
résonnent désormais plus que des hennissements des chevaux. Bruits de
mauvais augure. C’est, très symboliquement, un pont que le cheval de
Claire refuse à deux reprises de franchir, lui refusant de quitter le
lieu. Le piège se referme, l’étau se resserre. Sa manifestation la plus
oppressante, littéralement, est cet air qui se raréfie à l’approche de
la planète, et qui fait suffoquer Claire. Il ne s’agit pas là que d’un
indice de la menace qui s’approche : c’est la mort déjà à l’œuvre.
Justine le sait depuis le début, le mélancolique étant un clairvoyant.
Et nous le savons, nous aussi, qui avons vu le prologue.
Apokalupsis
La seconde partie, donc, déplie le film dans son
prolongement catastrophiste, et Lars von Trier nous offre sans aucun
doute une des belles fins de films de l’histoire du cinéma. La structure
dramatique de cette partie repose entièrement sur « la danse de la
mort » que Saturne effectue avec la Terre : elle s’en approche une
première fois, la contourne, s’en éloigne, avant de retourner pour la
heurter de plein fouet, comme dans une parade de séduction. Danse de
désir et de mort, donc, Eros et Thanatos. La tension suit ces courbes
décrites par la planète, tension palpable dans le visage contracté de
Charlotte Gainsbourg et dans ses gestes brusques, et l’angoisse se
glisse aussi imperceptiblement en nous, grâce à la bande-son qui relaie
les réactions de la nature à l’approche du danger. On entend
inconsciemment les chevaux hennir bien avant d’en avoir conscience, et
l’angoisse est déjà là. C’est sur ce mode que Lars von Trier réussit la
somptueuse scène finale. Jamais on aura si bien montré que la force de
l’image réside peut-être moins dans ce qu’elle montre que dans ce
qu’elle suggère : en d’autres termes que le hors-champ est bien ce qui
vient habiter l’image, en ce qu’il y dissémine ses signes : traces d’une
présence encore absente, mais qui menace d’envahir le champ. Alors que
Saturne approche désormais irrémédiablement, la caméra cadre les deux
sœurs et le petit garçon, blottis sous la tente magique construite par
Justine, et c’est sur leurs visages que l’on voit la collision se
produire. C’est seulement à cet instant que Lars von Trier se permet de
faire passer plein champ l’image de l’apocalypse. Le mot apokalupsis signifie en grec : révélation, enlèvement du voile.
Par le titre qu’il a choisi, Lars von Trier s’est
inscrit d’emblée dans une filiation philosophique, littéraire,
esthétique et iconographique extrêmement riche, mais dont la richesse
même a pu conduire à « dévitaliser » le thème même de la mélancolie. En
d’autres termes, à favoriser la naissance de clichés. Le prologue du
film revendique ouvertement la filiation iconographique, et le film
lui-même, en quelques-unes de ses scènes les plus évocatrices, joue de
cette iconographie, en la revitalisant. Ainsi, lorsque Justine, dans la
première partie, remplace tout à coup les reproductions qui sont
présentées dans le bureau de son père – des tableaux abstraits – par des
peintures figuratives qui expriment son état d’âme. Plus discrètement,
dans la seconde partie, alors que Saturne est toute proche, Claire part à
la recherche de Justine, qu’elle retrouve allongée au bord de l’eau, au
milieu des plantes aquatiques, offrant son corps nu à la planète bleue.
L’Ophélie de John Everett Millais est devenue la Justine de Lars von
Trier, une mélancolique dont le corps se teinte de bleu dans cette
étreinte avec Saturne.
Anne-Violaine Houcke
Notes
[1] Cette phrase indique, dans Nosferatu
(Murnau, 1922) l’entrée de Hutter sur les terres du vampire. Territoire
mystérieux et surnaturel, où les phénomènes n’obéissent plus aux lois
terrestres.
mardi 13 septembre 2011
12 septembre 1966 | Giuseppe Ungaretti
Trouvé ce très beau poème et ce tableau qui le complète bien sur le site "Terre des femmes" d'Angèle Paoli (on y trouve en particulier l'original en italien)
Egon Schiele, Wally in a Red Blouse with Raised Knees, 1913 Watercolor, gouache, and pencil on paper, 32,1 x 48,8 cm New York, Serge Sabarsky Collection |
Tu es apparue à la porte
Vêtue de rouge
Pour me dire que tu es feu
Qui consume et renflamme.
Une épine m’a piqué
De l’une de tes roses rouges
Pour que tu suces à mon doigt
Un sang déjà presque tien.
Nous avons suivi la rue
Que lacère la verdeur
De la colline sauvage
Mais depuis longtemps je savais
Que de qui souffre avec foi téméraire
L’âge pour vaincre ne compte.
On était un lundi,
Pour nous prendre les mains
Et nous parler heureux
Il ne fut d’autre refuge
Que ce triste jardin
De la ville convulsée.
Giuseppe Ungaretti, Dialogue 1966-1968, in Derniers poèmes 1966-1970, in Vie d’un homme, Poésie 1914-1970, Éditions de Minuit-Gallimard, Collection Poésie, 1981, rééd. 2000, page 301. Préface de Philippe Jaccottet. Traduction de Philippe Jaccottet.
les neuf poèmes du recueil Dialogo sont dédiés à la poète brésilienne Bruna Bianco (née en 1940), dont Giuseppe Ungaretti fut amoureux dans ses « vieux jours ». Les cinq « réponses poétiques » de Bruna Bianco figurent dans l’édition italienne de Vita d’un uomo. Tutte le poesie (Mondadori, Collection I Meridiani, 1969, rééd. 2009, pp. 295-317, édition établie par Carlo Ossola) et dans l'édition française référencée ci-dessus, dans une traduction de Philippe Jaccottet.
dimanche 11 septembre 2011
The Tree of life - Terrence Malick
Bouleversant !
Quelques images et extraits de critiques qui traduisent l'émotion profonde que j'ai éprouvée :
Quelques images et extraits de critiques qui traduisent l'émotion profonde que j'ai éprouvée :
"Regarder par soi-même, voilà pourtant le credo de Malick,
qui contrairement aux idées reçues, ne donne à voir le monde qu’à
travers les yeux de ses personnages, tantôt accueillant, tantôt
menaçant."
"Regarder par soi-même, c’est avant tout découvrir que Malick
ne joue pas l’état de nature contre la société, la guerre contre la
concorde, l’amour contre le Mal, qu’en somme il ne joue jamais contre :
ce qui se donne à voir au sein des nombreux couples d’oppositions qu’il
agence, c’est bien la pluralité du monde et l’extrême douleur, l’extrême
beauté, naissant de ses contradictions dépeintes sans aucun manichéisme
(il n’est pas Spielberg) ni aucun jugement moral (il n’est pas
davantage Kubrick)."
"Si l’œuvre malickienne arpente en tous sens l’empire des
signes, avec un émerveillement jamais tari, ses questions restent
insolubles, et leur répétition presque douloureuse, portées par les
multiples voix-off qui déroulent le récit de ces cinq films : est-il
possible qu’ensemble, ces signes fassent sens ? Y a-t-il une unité
derrière le multiple ? Quelle serait la nature du principe qui permet
ainsi tout et son contraire, qui donne et reprend sans cesse ?"
"C'est bien parce qu'il demeure sous l'emprise de la multiplicité des formes tout en ayant gardé la nostalgie de leur réconciliation, que Terrence Malick est le plus grand cinéaste en activité."
"The Tree of Life couple les souffrances de Job et la thématique
de la relation père-fils en tissant un récit de l’enfance dont le point
culminant serait la fin de l’âge d’or ou la Chute : la révélation
brutale d’un monde imparfait, nullement protégé par Dieu, et traversé
par la mort et la violence, la douleur et la tragédie."
"Au travers de son acceptation d’un Dieu impuissant et d’une création
imparfaite, Jack se révèle ainsi être le double de Job, ce personnage
biblique qui, dans son désarroi, confronte Dieu, puis se résigne.
Toutefois, l’histoire de Job telle qu’elle est contée dans The Tree of Life
substitue à l’idée d’une résignation celle d’une révolte silencieuse,
où s’entremêle la foi et le questionnement perpétuel. Malick, ce grand
cinéaste de la voix off, a de nouveau tissé une œuvre
magistrale à partir d’une polyphonie de voix hors-champ, qui semblent
ici nier le silence apparent de Job : la double voix off de
Jack, qui tantôt s’adresse à nous en commentant les images de son
enfance, tantôt s’adresse à Dieu en l’interrogeant sur son Œuvre. À
cette voix oscillant entre le souvenir et la confrontation, s’ajoute la
voix off de la mère – avec laquelle s’ouvre et se clôt The Tree of Life
– qui s’adresse autant à ses enfants qu’aux spectateurs ; cette voix
féminine du commencement et de la fin ne cessera d’évoquer la foi,
qu’elle nomme la voie de la grâce : la possibilité d’un monde régi par
l’amour et la beauté."
Cette fois c'est une critique, que j'ai trouvée très complète et intéressante, de Jennifer Cazenave sur cet autre blog.
"The Tree of Life, le seulement cinquième film de
ce cinéaste de 67 ans, s’ouvre sur la voix de Jessica Chastain, qui
nous confie avoir appris chez les sœurs qu’« il y a deux voies dans
l’existence : la voie de la nature et la voie de la grâce. Il vous faut
choisir celle que vous suivrez ». Quiconque connaît l’œuvre de Terrence Malick, ne s’étonnera pas de cette introduction chez un
cinéaste au tempérament contemplatif, obsédé par la nature et sachant la
filmer comme personne – mais une nature animée par l’esprit, comme un
reflet d’une réalité invisible qui en est le principe et le soutien.
Malick, dont le style mouvant semble perpétuellement frémissant d’un
souffle léger qui donne à ce qu’il filme la lumière et la vie, exalte
tout au long de son œuvre la nature, mais en cinéaste habité par la
grâce."
"Qu’il s’agisse d’évoquer des mondes inconnus, la profusion vitale qui
anime le monde ou la complicité bienheureuse d’une mère avec son
enfant, Malick possède comme personne l’art de renouveler notre regard
et, à la manière de Vermeer, de fixer les choses banales avec une
intensité telle qu’elles semblent soudain ouvrir une fenêtre sur
l’éternité. Le tout au service d’une vision qui possède la simplicité
biblique de la biblique vérité : « Sans amour, votre vie passera comme l’éclair. »
ritique de Laurent Dandrieu sur ce blog.
Paris - Delhi - Bombay
Dimanche 4 septembre, beaucoup de monde au Centre Pompidou (c'est aussi parce que le musée d'art moderne est gratuit)...
Quelques photos de ce que j'ai aimé (sachant que l'exposition propose aussi beaucoup de vidéos intéressantes ou impressionnantes comme "Le songe de poliphile" de Camille Henrot par exemple)
Quelques photos de ce que j'ai aimé (sachant que l'exposition propose aussi beaucoup de vidéos intéressantes ou impressionnantes comme "Le songe de poliphile" de Camille Henrot par exemple)
Je n'ai pas noté l'auteur de cet ensemble de miroirs brisés dont les traits noirs verticaux sont réalisés à l'aide de "poteux" (ce signe que les indiens posent entre les deux yeux) |
Philippe Ramette - Place publique Touchant |
Je n'ai pas conservé le nom de l'artiste français qui a réalisé ce dessin |
Léandro Erlich - reconstitution d’une chambre parisienne dont les
fenêtres donnent sur Bombay (grâce à la projection d’images vidéo) |
Une autre vue de "Place publique" |
Anita Dube - Silence ou noce de sang Très étranges ces œuvres faites à partir d'os recouverts de velours... |
Du haut du Centre Pompidou, dernier regard sur Paris en ce premier dimanche de septembre... |
mardi 6 septembre 2011
Enfant, je pensais que l’été résoudrait tout - Malcolm Lowry
Enfant, je pensais que l’été résoudrait tout ;
Cette illusion m’est morte d’avoir vu tant de printemps manqués.
Les fleurs qui s’ouvraient à la maison se fermaient à l’école ;
La jeunesse naissait pour mourir à Liverpool,
Comme en Sierra Leone avec les séismes.
La tentation revenait comme le printemps dans les livres,
Un poème lu dans un magazine à deux sous,
À moitié compris — la vitrine retenant le sens —
Puis disparaissaient avec les filles qui jamais ne se retournaient,
Pâles visages entrevus qu’aspirait le sol.
Alors venait la mer, cobalt ou couleur de whisky,
La vieille nostalgie se portait sur une ville
Toujours au loin, sous un nom différent,
Arkhangelsk, Surabaya, ou Tlalpam…
Puis je compris que je ne cherchais que la mort,
Mais je régnais au seuil du temple,
Furieux de l’espoir qu’une aube séculaire
Apporterait enfin la sérénité.
Pour tout cela je suis encore l’animal qui tète :
La taverne au centre de mon cercle.
Malcolm Lowry, in Les Lettres Nouvelles, mai-juin 1970, pp. 86-87. Traduit de l’anglais par Serge Fauchereau.
J'ai trouvé que le tableau et le poème allaient bien ensemble. Ils sont tous deux tirés du site d'Angèle Paoli Terres des femmes ici pour le poème et là pour le tableau.
Le commentaire du tableau est très intéressant. La version anglaise du poème s'y trouve.
Caspar David Friedrich (1774 - 1840) Der Mönch am Meer, 1808-1810 |
Cette illusion m’est morte d’avoir vu tant de printemps manqués.
Les fleurs qui s’ouvraient à la maison se fermaient à l’école ;
La jeunesse naissait pour mourir à Liverpool,
Comme en Sierra Leone avec les séismes.
La tentation revenait comme le printemps dans les livres,
Un poème lu dans un magazine à deux sous,
À moitié compris — la vitrine retenant le sens —
Puis disparaissaient avec les filles qui jamais ne se retournaient,
Pâles visages entrevus qu’aspirait le sol.
Alors venait la mer, cobalt ou couleur de whisky,
La vieille nostalgie se portait sur une ville
Toujours au loin, sous un nom différent,
Arkhangelsk, Surabaya, ou Tlalpam…
Puis je compris que je ne cherchais que la mort,
Mais je régnais au seuil du temple,
Furieux de l’espoir qu’une aube séculaire
Apporterait enfin la sérénité.
Pour tout cela je suis encore l’animal qui tète :
La taverne au centre de mon cercle.
Malcolm Lowry, in Les Lettres Nouvelles, mai-juin 1970, pp. 86-87. Traduit de l’anglais par Serge Fauchereau.
J'ai trouvé que le tableau et le poème allaient bien ensemble. Ils sont tous deux tirés du site d'Angèle Paoli Terres des femmes ici pour le poème et là pour le tableau.
Le commentaire du tableau est très intéressant. La version anglaise du poème s'y trouve.
dimanche 4 septembre 2011
Oeuvres - Agathe de Filippi
Découvert quelques œuvres d'Agathe Filippi :
A tire larigot |
Sans titre |
Sans titre |
Sentier |
Elle fait aussi de très beau tissus :
Il faut aller voir son site.
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