mardi 31 janvier 2012

La folie Almayer - Chantal Akerman

Chantal Akerman est une réalisatrice dont je suis le parcours depuis longtemps. Je me souviens par exemple avec émotion des " Rendez-vous d'Anna ", que j'avais vu à sa sortie, il y a maintenant plus de 30 ans et dont les problématiques résonnaient avec force en moi.
Je me souviens aussi avoir entendu une interview d'elle où elle disait que quand elle ne tournait pas, elle écoutait France Culture à haute dose. De quoi me sentir encore plus proche d'elle.
J'ai vu hier " La folie Almayer ".
J'ai été frappé par  toutes les séquences d'intérieur, baignant dans des clairs-obscurs d'une extrême beauté.
Je regrette de ne pas avoir trouvé de photos de ces moments du film.
L’atmosphère d'un pays tropical, sa nature démesurée, envahissante et étouffante, les pluies incessantes et violentes, la moiteur qui nimbe les êtres et les choses, l'ennui, l'angoisse engendrés... tout cela est rendu présent, palpable par le film.
J'ai cependant été assez désorienté par la narration, très éclatée. Ce qui fait qu'à part l'émotion esthétique, j'ai peu été touché par l'histoire ou les personnages (ni par Nina, ni par Almayer).
Le rapport avec un pays tropical où l'on vit mais dont on n'est pas originaire m'a intéressé, et fait penser à mes propres rapports avec les pays où j'ai vécu.

Voici ce que dit Chantal Ackerman de la façon dont elle a réalisé ce film :
« J’ai tourné un peu comme mes documentaires : je ne regardais pas le plan de travail le matin, rien n’était de l’ordre du devoir et je tournais en pyjama. Les mises en place étaient improvisées le jour même. Pour ça, j’ai eu une équipe formidable, Rémon Fromont au cadre et à la lumière, Pierre Mertens au son et tous les autres, vraiment tous. Au bout de trois jours, Pierre a dit à Rémon, regarde, elle est en train de tourner une fiction comme elle fait ses documentaires. C’est-à-dire en recevant ce qui se passe, en l’acceptant – en étant une sorte d’éponge. Sans imposer. La Captive était travaillé au millimètre, là non. Je ne savais pas avant de partir que j’allais tourner comme ça, et puis sans doute par pure intuition… C’était risqué mais follement exaltant. »
Cet extrait d'une interview est tiré de ce site.


Voici aussi la critique qui m'a semblé la plus intéressante et dont j'extrait ceci :
"La Folie Almayer a ceci de monstrueux qu'il est filmé entièrement depuis ce dérèglement, du point de vue d'une angoisse que plus rien ne vient canaliser et qui alors se répand comme un torrent. Retirant les digues, Akerman filme l'angoisse littéralement, cette angoisse dont elle faisait elle-même, de sa belle voix rocailleuse, la description dans Là-bas. Elle disait : je ne me sens pas appartenir, je suis déconnectée de presque tout, j'ai quelques points d'ancrage et parfois je les lâche ou ils me lâchent, et alors je flotte à la dérive. Almayer est ce bateau ivre d'angoisse qui, voyant partir sa fille, perd son dernier amarre, et n'a plus qu'à se laisser engloutir dans les eaux noires, à peine éclairées d'un trait de lune, dont le film reproduit sans cesse l'image. La mise en scène l'y accompagne, elle-même semble une coulée, une glue sombre et sans contours, loin de la fine mécanique à quoi Akerman avait habitué. En cela le film a parfois quelque chose de vraiment terrifiant, sa beauté passe par un malaise, il est presque insoutenable par endroits. L'ombre par exemple n'y est plus ce subtil dessin qui traversait La Captive mais une pâte informe et menaçante, une hydre noire qui finit par manger tout, dans la jungle comme chez Almayer (et ici c'est bien la folie, deux fois, qui l'engloutit). Dans le plan sublime et effrayant qui clôt le film, Almayer, filmé comme un zombie, se plaint d'un soleil trop froid, et le plan montre sur son visage l'empreinte faible de rayons qu'on dirait effectivement glacés. Dans Là-bas, Akerman évoquait sa tante Ruth, suicidée à Bruxelles un jour de « faible soleil ». D'un film à l'autre, le décor change, mais la météo ne varie pas : les soleils sont tous éteints."
Le texte entier de Jérôme Momcilovic est sur ce site.

A noter aussi que le retour régulier dans le film de "Sway" chanté Dean Martin, m'a empli d'une délicieuse nostalgie. Souvenir d'un fond sonore venu de l'enfance ? J'avais quatre ans quand cette chanson est sortie, comme Chantal Akerman d'ailleurs.

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