Gustave Dore - detail from Maenads In The Woods, 1879, Museum of Fine Arts, Boston. |
Dire l'obscur Comme Orphée je joue sur les cordes de la vie la mort et de la beauté de la terre et de tes yeux qui règnent sur le ciel je ne sais dire que l'obscur. N'oublie pas que toi aussi, soudain, ce matin-là, alors que ta couche était encore humide de rosée et que l'œillet était endormi sur ton cœur, tu vis le fleuve obscur qui passait près de toi. La corde de silence tendue sur la vague de sang, je saisis ton cœur résonnant. Transformée fut ta boucle en cheveux d'ombre de la nuit, des ténèbres les noirs flocons enneigèrent ton visage. Et je ne t'appartiens pas. Tous deux à présent nous nous plaignons. Mais comme Orphée je sais du côté de la mort la vie et pour moi bleuit à l'horizon ton œil à jamais fermé.
Ingeborg Bachmann . Traduit de l’allemand par Françoise Rétif.
|
Cette traduction vient de ce site.
Voici une autre traduction en français, j'hésite entre les deux. J'aime certains éléments dans chacune. Je préfère le titre de la première, mais certains passages de la seconde me touchent plus...
QUELQUE CHOSE NOIRE
Semblable à Orphée je joue
sur les cordes de la vie la mort
et malgré la beauté de la terre
et de tes yeux, qui sont les ordonnances du ciel,
je n'ai à dire que quelque chose noire.
sur les cordes de la vie la mort
et malgré la beauté de la terre
et de tes yeux, qui sont les ordonnances du ciel,
je n'ai à dire que quelque chose noire.
N'oublie pas que toi aussi, soudain,
ce matin-là, quand ta couche
était encore humide de rosée et que l'oeillet
dormait sur ton coeur,
tu vis le fleuve noir
qui passait à tes côtés.
ce matin-là, quand ta couche
était encore humide de rosée et que l'oeillet
dormait sur ton coeur,
tu vis le fleuve noir
qui passait à tes côtés.
La corde du silence,
tendue sur la vague de sang,
je saisis ton cœur qui résonne.
Tes boucles furent métamorphosées
en cheveux d'ombre de la nuit,
les flocons noirs des ténèbres
recouvraient ton visage.
Et je ne serai pas tienne.
Voilà notre plainte à tous deux maintenant.
Mais comme Orphée, je sais
du côté de la mort la vie
et l'éclair bleu de ton œil
à jamais fermé m'éblouit.
La version originale en allemand
Dunkles zu sagen
Wie Orpheus spiel ich
auf den Saiten des Lebens den Tod
und in die Schönheit der Erde
und deiner Augen, die den Himmel verwalten,
weiß ich nur Dunkles zu sagen.
Vergiß nicht, daß auch du, plötzlich,
an jenem Morgen, als dein Lager
noch naß war von Tau und die Nelke
an deinem Herzen schlief,
den dunklen Fluß sahst,
der an dir vorbeizog.
Die Saite des Schweigens
gespannt auf die Welle von Blut,
griff ich dein tönendes Herz.
Verwandelt ward deine Locke
ins Schattenhaar der Nacht,
der Finsternis schwarze Flocken
beschneiten dein Antlitz.
Und ich gehör dir nicht zu.
Beide klagen wir nun.
Aber wie Orpheus weiß ich
auf der Seite des Todes das Leben
und mir blaut
dein für immer geschlossenes Aug.
Je ne connaissais pas les poèmes de Ingeborg Bachmann. Celui-ci est magnifique. Je l'ai trouvé sur un site que je fréquente beaucoup, le blog de Jane Librizzi "Blue Lantern" où se trouve aussi une traduction en anglais.
J'ai beaucoup de mal à expliquer pourquoi j'aime un poème. Est-ce d'ailleurs souhaitable de savoir pourquoi ? C'est une affaire de correspondance profonde entre lui et moi. Je m'aperçois que les poèmes que je viens de publier, celui de Juan Gelman et celui-ci d'Ingeborg Bachmann ont un lien avec l'expérience d'hospitalisation que j'ai vécue ce dernier mois.
Mais il n'est pas pourtant inutile d'analyser et de comprendre, témoin ce bel article
Mais il n'est pas pourtant inutile d'analyser et de comprendre, témoin ce bel article
Entre ombre et lumière : Ingeborg Bachmann, Paul Celan et le mythe d’Orphée.
Voici un extrait qui parle du poème ci-dessus :
"Elle, qui l’avait compris au point de tenter d’adopter sa loi [il s'agit ici de Celan], ne pouvait renoncer à la sienne : la croyance qu’il est possible de regarder la mort en face et d’en revenir, non pas seul(e), mais avec l(es) aimé(e)(s).
Retournement radical du mythe traditionnel, tel qu’il est illustré par tous ceux qui, après Platon (entre autres, Rilke), condamnent Orphée à devoir abandonner Eurydice pour que l’art advienne : l’aimé(e), dans le poème de Bachmann, n’est plus derrière, voué(e) à l’invisibilité et à l’abandon. Et le regard d’Orphée ne donne pas la mort, il ne sépare pas ; au contraire c’est dans le regard de la mort en face que le lien d’amour est renoué, que la lumière du jour est retrouvée."
Sous Google reader, le texte apparaît comme "censuré", j'y ai vu un clin d'oeil au black-out de la semaine dernière, mais c'était pas intentionnel j'ai l'impression ^^
RépondreSupprimerNon ! Ce n'était pas intentionnel ! Quoi, le FBI aurait-il eu connaissance de mon blog ? Ou alors l’extrême droite autrichienne ?!
RépondreSupprimer:D
RépondreSupprimer