vendredi 5 novembre 2010

Le retour à Djaykoûr - Badr Chaker Es-Sayyâb

Sur le blanc coursier du rêve
j'ai traversé de nuit les collines
les fuyant, fuyant la ligne longue de leurs crêtes
et le marché aux mille négoces
et le matin exténué
et la nuit d'abois aux passants
et la lumière ténébreuse
et le dieu que lave le vin
et la honte parée de fleurs
et la mort allée sur le fleuve
marchant sur ses remous dormeurs.
[...]
Sur le blanc coursier du rève
sous le soleil du vert levant
en l'été de Djaykoûr aux abondances
je galopais pliant sous moi la longue route
parmi rosée et ondes et fleurs,
quêtant aux horizons l'étoile,
naissance, sous le ciel, de l'âme,
source à éteindre feu des soifs,
maison pour le las voyageur.

Djaykoûr, Djaykoûr : où sont le pain et l'eau ?
La nuit tombée, les guides s'endormirent.
Les gens de la caravane par faim et soif sont restés éveillés.
Dur est le vent et l'horizon troublé d'échos.
[...]
Qui, ma poésie l'entendra ?
Le mutisme de la mort est dans mes murs,
la nuit parmi mon feu.
Qui portera pesanteur de la croix
en cet interminable anxieuse nuit ?
Qui pleurera et donnera réponse
à l'affamé, au nu ?
Qui de son bois fera descendre le crucifié,
et de ses plaies, qui écartera les vautours,
qui déliera de tout l'obscur son aurore,
et qui de son épine, fera laurier ?
Ah, Djaykoûr, si tu pouvais entendre !
Ah, Djaykoûr, si être, tu le pouvais !
Si tu pouvais enfanter l'âme, ou avorter,
pour que le voyageur vespéral enfin découvre
l'étoile brillant sur la nuit des égarés.
[...]

Mon aliment, le voici, ô affamés,
mes larmes, ô désespérés, les voici,
et ma prière, ô adorants, est celle-ci :
que le volcan de tous ses feux explose,
que l'Euphrate vienne en crue,
pour que la ténèbre éclaire,
pour que nous fassions connaissance avec la compassion.
[...]
Et mon âme me fut arrachée. Et le train a sifflé.
Et des larmes ont brouillé ma vue,
nuage en qui je fus porté, puis le train a disparu.
ô soleil de mes jours, reviendras-tu ?

Dors Djaykoûr, sous la ténèbre des années.

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